De 1887 à 1902, Nanterre abrite une maison d’arrêt pour femmes et une maison de correction, avant de devenir ce qu'elle est aujourd'hui, un établissement à caractère social et sanitaire.
Des femmes condamnées à des longues peines, pour des faits graves, y sont incarcérées. D’autres femmes, appelées communément les « Insoumises », y purgent de courtes peines généralement pour vagabondage, mendicité ou prostitution.
En consultant le registre d'écrou, mon regard se pose sur le profil d’une sage-femme, décrite à son arrivée au dépôt, comme « vêtue d’un chapeau de feutre avec une plume rouge ». Elle s’appelle Marie Moll et voici son histoire.
Archives départementales des Hauts-de-Seine, Maison de correction, vers 1900
Une sage-femme ordinaire
Marie Moll voit le jour le 27 décembre 1845 à Strasbourg.
Née de père inconnu, elle est élevée par sa mère, Octavie, d’origine allemande, et par ses grands-parents.
En 1872, Marie Moll vit à Paris avec sa mère. Elle demande sa naturalisation française qu’elle obtient sans difficulté.
Trois ans plus tard, elle décide de passer l’examen de sage-femme qu’elle décroche. Elle a alors 30 ans.
En 1880, elle épouse Joseph Daure, originaire du Tarn. Il exerce le métier de chapelier.
La vie sourit à Marie Moll qui mène une vie plutôt confortable avec son époux.
En 1887, elle est nommée au poste de sage-femme du bureau de bienfaisance du 18e arrondissement de Paris [1].
Archives AP-HP - 813FOSS/21/24 – 1887-1890
Les bureaux de bienfaisance
Les bureaux de bienfaisance, créés à l’origine pour soulager les hôpitaux, sont répartis à travers la capitale à raison d’un bureau par arrondissement et une maison de secours. Ils ont pour mission l’assistance à domicile gratuite pour prodiguer des soins et des accouchements et apporter des secours en nature (denrées alimentaires, vêtements, médicaments, etc.).
Le taux de mortalité des mères qui meurent en couches baisse au fil des années grâce à la présence de ces bureaux de bienfaisance.
Au milieu du XIXe siècle, Paris compte 119 sages-femmes, tous bureaux confondus, qui pratiquent entre 6 000 et 7 000 accouchements par an, pour une dizaine de francs par accouchement [2].
Archives départementales des Hauts-de-Seine, XIXe siècle
Une erreur fatale
En tant que sage-femme de première classe, Marie Moll exerce également dans un réseau de sages-femmes agréées. Ces dernières ont pour mission de prendre en charge chez elles, à leur domicile, des femmes n’ayant pas de logement (souvent des mères-filles ) et ce pour une durée de neuf jours au moins, contre une rémunération plus importante.
Mais c’est en tout cas en qualité de sage-femme du bureau de bienfaisance que Marie Moll accouche Dame Depuydt, le 9 janvier 1890, à Paris. Une petite fille est née.
La sage-femme prodigue les premiers soins au bébé et à la maman et prescrit une ordonnance. Le père va chercher les médicaments à la pharmacie. Il s'agit d'un sirop de chicorée à administrer au bébé et une huile de camomille à usage externe à frictionner à la maman.
Avant de partir, Marie Moll prend le soin de mélanger quelques gouttes de laudanum à l’huile de camomille, avant de remettre les produits aux époux Depuydt.
Les époux Depuydt suivent les préconisations de la sage-femme et donnent à leur bébé, deux cuillérées du sirop, en deux fois.
Mais le bébé ne va pas bien. Il apparaît étrangement malade et vomit toute la nuit. La sage-femme est appelée.
[…] On s’aperçoit qu’il devient noir : ses parents effrayés, envoient chercher la sage-femme qui fait alors la réponse ci rapportée : qu’elle ne peut pas tout de suite, qu’il faut qu’elle prenne son café […][3].
Les époux Depuydt sont désemparés. L'état de leur bébé se dégrade à une vitesse folle.
Marie Moll, désormais disponible, tente de le soigner avec du sirop d'Ipeca qui ne donne aucun résultat, puis avec de la poudre d'Ipeca. Le pharmacien s'étonne même de l'utilisation de cette poudre pour un nouveau-né !
Rien n'y fait, l'état du bébé ne fait qu'empirer.
Trois jours après sa naissance, c'est le drame. Le bébé meurt.
Mais que s'est-il passé ?
Les époux Depuydt, brisés, soupçonnent la sage-femme et lui reprochent d’avoir été négligente dès l'accouchement.
Ils portent plainte contre elle, l’accusant d’avoir causé la mort de leur bébé.
Les résultats de l’expertise médicale sont catégoriques : le laudanum a été mélangé, non pas à l’huile de camomille à usage externe, mais au sirop de chicorée que le bébé a ingurgité et dont des traces de ce produit toxique ont été retrouvées dans son corps.
Le Laudanum, qu'est-ce que c'est ?
Souvent administré par les médecins, à cette époque, le laudanum surnommé "l'aspirine du XIXe siècle", contient notamment de l'alcool à 30° et de la poudre d'opium. Il permet de soulager tous types de maux comme la fièvre, les diarrhées, les coliques, ou encore de faire dormir un bébé et faire cesser ses pleurs. Il connaît, d'ailleurs, un franc succès auprès des nourrices. Mais ce produit, hautement toxique, cause de nombreux décès surtout chez les plus jeunes. Il ne se passe pas une semaine, sans qu'un cas d'accident mortel causé par le laudanum, ne se produise.
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Apothicaire vendant du laudanum et de l'arsenic à un enfant, Wikipedia.
Diplômée en 1875, Marie Moll exerce son métier depuis quinze ans. Le rapport de police conclut, d’ailleurs, qu'elle n’a jamais fait parler d’elle de manière défavorable [4].
La sage-femme est, toutefois, mise en cause.
[…] Erreur n’est pas compte, dit-on ; mais qu’on ne le dise pas d’une erreur de médicament suivie de mort : ici l’erreur compte et celui qui l’a commis s’en aperçoit le jour où le Tribunal correctionnel le juge pour homicide par imprudence. Aujourd’hui, c’est une sage-femme du bureau de bienfaisance dont une erreur a causé la mort d’un petit enfant. Le père et la mère sont de pauvres gens inscrits à l’Assistance publique ; est-ce pour cela que, demandée par eux, dans un moment d’inquiétude, elle répondait qu’elle n’avait pas fini de déjeuner et avait encore à prendre son café ?... Quoi qu’il en soit, elle prit d’abord son café [...] [5].
Le Maire et le Préfet interrogent l’administration hospitalière sur le droit qu’avait (ou non) la sage-femme de délivrer une ordonnance. Ils discutent de la nécessité de la suspendre avant son jugement pour faire taire les critiques.
Marie Moll se défend et clame son innocence dans une lettre adressée à sa hiérarchie. Elle finira par démissionner, contrainte [6].
Archives AP-HP - 813FOSS/21/24 – 1887-1890
Archives départementales des Hauts-de-Seine
Le 16 avril 1890, le Tribunal correctionnel de la Seine condamne Marie Moll à six jours d’emprisonnement pour homicide par imprudence et à verser 200 francs à titre de dommages-intérêts aux époux Depuydt ainsi qu’aux dépens [7].
[1] Archives AP-HP-813FOSS/21/24
[2] Beauvalet-Boutouyrie. Scarlett « Naître dans le XIXème siècle », Belin, 1999
[3] Archives AP-HP-Article « Chronique » – Gazette des tribunaux – 27/04/1890
[4] AD75-D2U6 90
[5] Article « Chronique » – Gazette des tribunaux – 27/04/1890
[6] Archives AP-HP-813FOSS/21/24
[7] AD75-Archives judiciaires - D1 U6 352
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